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Accords UE-Vietnam : 68 organisations de la société civile appellent à ne pas ratifier ces nouveaux accords de commerce et d’investissement

lundi 10 février 2020

Dans une déclaration publiée le 10 février 2020, 68 organisations de toute l’Europe demandent instamment aux membres du Parlement européen de ne pas ratifier les accords de libre-échange et d’investissement entre l’Union européenne et le Vietnam qui seront votés en plénière le 11 février. Elles déclarent que les accords UE-Vietnam ne répondent pas aux défis urgents auxquels l’UE et le Vietnam sont confrontés et qu’ils ne sont pas compatibles avec un "Green Deal" qui ferait de l’action écologique une véritable priorité. Alors que ces accords de commerce et d’investissement sont les premiers à être soumis au nouveau Parlement européen, ces organisations posent la question : "en 2020, pouvons-nous encore ratifier des accords commerciaux avec des pays qui ne respectent pas les droits humains et sociaux et qui ne respectent pas les libertés fondamentales" ?

Bruxelles, le 10 février

Lire le détail de la déclaration avec la liste des 68 organisations signataires (dont 15 françaises)

Accords UE-Vietnam : 68 organisations de la société civile appellent à ne pas ratifier ces nouveaux accords de commerce et d’investissement

Les organisations européennes soussignées (1) appellent les membres du Parlement européen à ne pas ratifier les accords de libre-échange et d’investissement entre l’Union européenne et le Vietnam (2) qui seront votés en plénière le 11 février 2020. Il s’agit des tout premiers votes de ratification d’accords de commerce et d’investissement au sein du nouveau Parlement européen. Ils ont été négociés par la Commission européenne depuis 2012 et ont été signés le 30 juin 2019 à Hanoi.

La Commission européenne les présente comme des accords favorisant le développement durable et assurant un niveau élevé de protection du travail et de l’environnement. Mais ce n’est pas vrai. Les accords UE-Vietnam ne répondent pas aux défis urgents auxquels l’UE et le Vietnam sont confrontés aujourd’hui : la réduction des inégalités, la promotion du développement soutenable et la lutte contre les dérèglements climatiques. Ils ne sont pas compatibles avec un "Green Deal" qui ferait de l’action écologique une véritable priorité. Le 15 janvier, le Parlement européen a voté une résolution affirmant que "tous les accords internationaux en matière de commerce et d’investissement (devraient) comporter des chapitres solides, contraignants et applicables, notamment en matière de climat et d’environnement, qui respectent pleinement les engagements internationaux, en particulier l’accord de Paris". Ce n’est pas le cas de ces accords UE-Vietnam.

La Commission européenne a décidé de diviser le texte de l’accord initial en deux parties distinctes, l’une sur le commerce et l’autre sur l’investissement. Cela lui a permis d’éviter de soumettre les deux parties au même processus de ratification. La Commission européenne ne veut pas risquer un éventuel rejet de la partie commerciale dans le cadre des procédures de ratification nationales et souhaite accélérer sa mise en œuvre finale.

Le volet commercial de ces accords relève de la seule compétence de l’UE et ne nécessite que la ratification du Parlement européen :

  • Selon la Commission européenne, ces accords suppriment 99 % des droits de douane sur les biens échangés entre l’UE et le Vietnam. Ces mesures ne tiennent compte d’aucun critère de durabilité ou de droits humains.
  • Cet accord ne comporte pas de clause garantissant que le droit international en matière de droits humains, d’environnement ou de climat prime sur les règles du commerce ;
  • Les chapitres portant sur le développement durable ne prévoient pas de normes. communes ambitieuses et ne fixent aucun engagement concret de protection et d’application des obligations internationales en matière de climat, d’environnement, de conditions de travail et de droits humains ; ces chapitres, non contraignants et non exécutoires, ne peuvent d’ailleurs être mobilisés dans le cadre d’un règlement des différends entre États.
  • Le chapitre portant sur la protection de la propriété intellectuelle constitue une menace immédiate pour la disponibilité de médicaments génériques à des prix abordables. Il ne reconnaît pas le droit fondamental à l’alimentation et à des moyens de subsistance décents pour les petits producteurs et les communautés agricoles vulnérables, et réglemente les semences dans le seul intérêt des entreprises multinationales.
  • Cet accord ne permet pas de réguler de façon adéquate les flux de capitaux afin d’éviter toute exposition à l’instabilité financière.
  • Il ne prévoit aucune obligation directe, contraignante et exécutoire obligeant à respecter les normes internationales reconnues en matière de responsabilité sociale des entreprises et de politiques climatiques.
  • Il n’est prévu aucune évaluation régulière de l’impact de cet accord sur les droits humains, l’environnement et le climat ; et il manque surtout une "clause de révision" permettant de revoir (certaines parties) de l’accord après sa ratification et sa mise en œuvre, en tenant compte de ses impacts sur le développement durable et les droits humains.
  • Le principe de précaution est mentionné à l’article 13.11 du chapitre non contraignant sur le développement durable, mais pas dans le chapitre traitant des règles sanitaires et phytosanitaires. L’accord UE-Vietnam ne garantit ainsi pas une application pleine et entière du principe de précaution.

Le volet investissement de ces accords est considéré comme une compétence mixte et devra passer par les procédures de ratification nationale pertinentes dans tous les États membres.

  • Cette partie contient de très importantes protections en matière d’investissement : la définition de ce qui constitue un investisseur/investissement est très vaste, comprenant les investissements de portefeuille, les obligations, les droits de propriété intellectuelle, etc ; tous ces investissements sont couverts par un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États alors qu’il n’est pas prouvé que de telles protections des investissements contribuent à attirer les investissements directs étrangers (IDE). Ces protections sont ici largement étendues. De nombreuses études indiquent pourtant que la protection de l’investissement n’est pas le facteur déterminant dans la prise de décision des investisseurs. Cette protection est pourtant étendue à tous les domaines, même dans le cas où les investissements sont incompatibles avec la transition écologique. D’autre part, des études montrent que les IDE peuvent également avoir des retombées négatives : évincer les entreprises nationales, créer des emplois précaires ou réduire l’emploi, accroître les inégalités de revenus, faciliter la fraude et l’évasion fiscales et contribuer à la dégradation et à la pollution de l’environnement. Cela montre qu’il serait crucial de disposer de mécanismes et réglementations adéquats pour réguler les IDE.
  • Cette partie sur l’investissement protège tous les types d’IDE, indépendamment de la nature de l’investissement, du comportement de l’investisseur ou de l’impact social, économique ou environnemental de l’investissement.
  • Le texte sur l’investissement n’apporte aucune amélioration par rapport aux accords précédents, mais constitue au contraire un pas supplémentaire dans la mauvaise direction : les droits accordés aux investisseurs étrangers dans l’accord UE-Vietnam sur l’investissement vont bien au-delà de ceux du chapitre sur l’investissement d’autres accords (tels que le CETA) et certaines des garanties introduites dans le CETA font défaut dans l’accord sur l’investissement proposé avec le Vietnam (3).
  • Cet accord prévoit que les parties signataires contribuent aux négociations en vue de la création d’un tribunal multilatéral pour le règlement des différends en matière d’investissement. Alors que ces dispositifs sont profondément rejetés par l’opinion, une Cour multilatérale d’investissement ne ferait que renforcer un système de règlement des différends qui permettrait aux entreprises multinationales d’exercer un pouvoir excessif sur l’élaboration des politiques publiques. Veut-on donner toujours plus de pouvoirs à un nombre restreint d’entreprises et d’investisseurs qui dominent déjà les marchés mondiaux ? Plus de 847 000 personnes en Europe ont signé une pétition demandant aux députés européens de mettre un terme à l’expansion du système de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS, etc.).

La situation des droits humains et du droit du travail au Vietnam continue d’être préoccupante. Si le Vietnam vient de ratifier la Convention sur le droit d’organisation et de négociation collective (n°98), il n’a toujours pas ratifié deux des huit conventions fondamentales de l’OIT, celle portant sur la liberté syndicale (convention n°87) et celle portant sur l’abolition du travail forcé (n°105). Le Vietnam a certes annoncé vouloir ratifier cette dernière en 2020 et la convention 87 en 2023, mais rien ne le garantit.

Dans sa résolution du 14 décembre 2017, le Parlement européen a lui-même souligné « la détérioration des droits civils et politiques au Vietnam ». Contrôlé par un parti unique, le Vietnam n’offre pas de garanties suffisantes en matière de respect des libertés publiques (expression, presse, association, etc). La répression policière et politique touche particulièrement les défenseurs des droits humains, de l’environnement et toutes celles et ceux qui critiquent le régime. Comme le signale Human Rights Watch, les forces de police ont recours à la torture tandis que la justice manque cruellement d’indépendance. Par ailleurs, les paysans sont souvent spoliés de leurs terres, et les travailleurs souvent réprimés lorsqu’ils essaient de faire reconnaître leurs droits. Ainsi, Human Rights Watch a appelé le Parlement européen a reporter la ratification de l’accord UE-Vietnam.

Ratifier des accords de commerce et d’investissement dans de telles circonstances est contraire aux principes fondamentaux de l’UE : en 2020, peut-on encore ratifier des accords de commerce avec des pays qui ne respectent pas les droits humains et sociaux et qui ne respectent pas les libertés fondamentales ? Alors que la Commission promet un « Green Deal », comment peut-on encore ratifier des accords de commerce qui concourent à approfondir la mondialisation des échanges et l’aggravation des émissions de gaz à effet de serre et la crise écologique ?

Notes :

(1) En plus de cette initiative, un certain nombre d’ONG vietnamiennes et internationales demandent au Parlement européen de reporter leur accord sur l’accord UE-Vietnam : https://www.hrw.org/news/2019/11/04/joint-ngo-letter-eu-vietnam-free-trade-agreement

(2) Le texte intégral de ces accords peut être consulté à l’adresse suivante : http://trade.ec.europa.eu/doclib/press/index.cfm?id=1437

(3) Par exemple, l’art. 2.5.6 du texte UE-Vietnam, qui n’est pas présent dans le CETA, introduit une nouvelle disposition juridique qui élargit considérablement la possibilité pour les investisseurs de porter leurs réclamations devant un tribunal d’arbitrage. De même, la portée de l’article 2.5.4 du texte UE-Vietnam est plus large que celle du même article du CETA (cf. article 8.10.4). Certaines des garanties introduites dans le texte du CETA, comme l’article 8.10.7, sont absentes de l’accord d’investissement proposé avec le Vietnam

Signataires

International
Global Campaign to Reclaim Peoples Sovereignty, Dismantle Corporate Power and Stop Impunity
FIAN International

Europe
Africa Europe Faith & Justice Network
Seattle to Brussels Network (S2B)
European Coordination Via Campesina
Friends of the Earth Europe

Allemagne
Arbeitsgemeinschaft bäuerliche Landwirtschaft
Attac Berlin
Attac Germany
foodwatch
German NGO Forum on Environment and Development
Konstanzer Bündnis für gerechten Welthandel
Naturfreunde Berlin e. V.
Netzwerk Gerechter Welthandel
PowerShift e.V.

Autriche
Attac Austria,
Center for Encounter and Active Non-violence,
Transform !at
ÖBV-Via Campesina Austria

Belgique
11.11.11
CNCD-11.11.11
MAP

Danemark
Global Aktion
NOAH – Friends of the Earth

Espagne
ASiA-Associació Salut i Agroecología
Attac ESPAÑA
Campaña No a los Tratados de Comercio e Inversión
Campanya Catalunya No als Tractats de Comerç i Inversió
Ecoogistas en Acción
Entrepueblos/Entrpobles/Entrepobos/Herriarte

Finlande
TTIP Network Finland

France
Aitec
Amis de la Terre
Attac France
BLOOM
CADTM France
Collectif Ethique sur l’étiquette
Collectif Stop TAFTA/CETA
Comité Pauvreté et Politique
Confédération paysanne
Emmaüs International
ReAct
reseau Roosevelt IDF
Réseau Foi & Justice Afrique Europe
Sherpa
Veblen Institute

Grèce
Nature Friends Greece

Italie
Comitato pace e convivenza Danilo Dolci
Comitato Stop TTIP – Udine
Forum movimenti per l’acqua pubblica
L’Altra Europa Italy
Policies for Equitable Access to Health (PEAH)
Stop TTIP/CETA Italia
Coordinamento nord sud del mondo
Fairwatch

Pays-Bas
Both ENDS
Handel Anders !
Platform Aarde Boer Consument
Platform Duurzame en Solidaire Economie
SOMO
Transnational Institute
Vrijschrift

Pologne
Instytut Globalnej Odpowiedzialności (IGO)

Portugal
TROCA- Plataforma por um Comércio Internacional Justo

République tchèque
NaZemi

Slovénie
SLOGA Slovenian Global Action

Suède
Jordens Vänner/Friends of the Earth Sweden