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Le groupe public ADP doit renoncer à poursuivre le Chili en raison de sa politique sanitaire face au COVID19

mardi 12 octobre 2021

Les groupes français Aéroports de Paris (ADP) et Vinci Airports ont décidé de poursuivre le Chili devant un tribunal d’arbitrage investisseurs-État. Détenteurs de la concession de l’aéroport Arturo Merino Benitez (AMB) de Santiago, les deux multinationales françaises attaquent le Chili suite à la baisse du trafic aérien occasionnée par la pandémie et les politiques sanitaires du gouvernement visant à limiter sa propagation. Plutôt que de faire valoir leurs droits devant les juridictions nationales chiliennes de droit commun, les deux groupes ont décidé de faire appel à un tribunal d’arbitrage international, privilège des investisseurs internationaux, afin de maximiser leurs chances d’obtenir de généreuses indemnités. Dans une lettre ouverte, une vingtaine d’organisations de la société civile française appellent le gouvernement français à intervenir, en tant qu’actionnaire majoritaire d’ADP, pour qu’ADP et Vinci renoncent à ses poursuites, et ainsi que la France ne soit plus engagée dans des poursuites envers le Chili.

Alors que des négociations pour la modernisation de l’accord bilatéral de commerce et d’investissement entre l’UE et le Chili sont en cours, la décision des groupes français Aéroports de Paris (ADP) et Vinci Airports de poursuivre le Chili devant un tribunal d’arbitrage international plutôt que devant les juridictions nationales chiliennes de droit commun illustre à la fois les droits démentiels obtenus par les investisseurs privés et la nécessité de ne plus octroyer de tels droits aux investisseurs étrangers.

La lettre ouverte, endossée par une vingtaine d’organisations de la société civile (dont ActionAid France, Aitec, Amis de la Terre, Attac, CCFD-Terre Solidaire, CGT, CRID (Centre de Recherche et d’Information pour le Développement), Collectif Stop CETA-Mercosur, France Nature Environnement, Notre Affaire à Tous etc) est disponible sous format .pdf ici et reproduite ci-dessous.

Lettre ouverte au gouvernement français Le groupe public ADP doit renoncer à poursuivre le Chili en raison de sa politique sanitaire face au COVID19

Mardi 19 novembre 2021

  • Monsieur le Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire
  • Monsieur le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian
  • Monsieur le Ministre français du commerce extérieur Franck Riester,
  • Monsieur le Secrétaire d’État chargé des affaires européennes, Clément Beaune

En juin 2020, avec plus de six cents organisations du monde entier, nous vous avions alerté, ainsi que les autres gouvernements des États-membres de l’UE, sur le risque de voir des investisseurs étrangers, conseillés par des cabinets d’avocats spécialisés, utiliser les mécanismes de règlements des différends entre investisseurs et États (ISDS – RDIE en français) pour attaquer les mesures prises par les pouvoirs publics contre la pandémie de COVID19 ou pour faire face à l’urgence économique et sociale qui en découle.

Un an plus tard, nos craintes s’avèrent malheureusement fondées : les groupes français Aéroports de Paris (ADP) et Vinci Airports ont en effet décidé de poursuivre le Chili devant un tribunal d’arbitrage investisseurs-État, en se fondant sur le traité bilatéral d’investissement (TBI) Chili-France entré en vigueur en 1994. Détenteurs de la concession de l’aéroport Arturo Merino Benitez (AMB) de Santiago par l’intermédiaire de la société Nuevo Pudahuel dont ils sont les actionnaires majoritaires, les deux multinationales françaises font valoir que la baisse du trafic aérien du plus grand aéroport du Chili et que les politiques sanitaires du gouvernement chilien visant à limiter la propagation de la pandémie (fermeture des frontières, mise en quarantaine des passagers, interdictions de vols) ont contribué aux pertes économiques de l’entreprise concessionnaire de l’aéroport.

L’entreprise concessionnaire a demandé au gouvernement chilien de satisfaire à des compensations financières pour les pertes générées par la pandémie et les mesures sanitaires du gouvernement et de renégocier les conditions de la concession. Face au refus du gouvernement chilien d’endosser aux frais du contribuable les conséquences économiques de la pandémie, et alors que l’État chilien a lui-même subi des pertes considérables au regard du mécanisme de partage des recettes prévue par le contrat de concession (77% pour l’État, 23% pour le concessionnaire), les deux groupes français ont décidé de faire appel à un tribunal d’arbitrage international plutôt que de faire valoir leurs droits éventuels devant les juridictions nationales chiliennes de droit commun.

Par cette lettre ouverte, nous voudrions vous alerter sur le fait que par cette décision, Aéroport de Paris, entreprise publique détenue à 50,6% par l’État français, engage également l’État et le gouvernement français dans une action qui de fait revient à considérer que la profitabilité d’entreprises privées est plus importante que la protection de la population face à la pandémie. Puisque cela revient même à ce que ce soit l’État français lui-même qui poursuive le Chili pour les effets de la pandémie et de sa politique sanitaire pour faire face au COVID19. Sans l’accord de l’actionnaire majoritaire qu’est l’État, ADP ne pourrait s’engager dans cette démarche inacceptable tant sur le plan moral, politique qu’économique. Jamais Paris n’accepterait ce à quoi est aujourd’hui confronté le Chili.

Ces dispositifs d’arbitrage donnent aux multinationales et investisseurs internationaux un privilège qui leur permet de court-circuiter les juridictions de droit commun et de poursuivre les États devant un tribunal favorable à leurs intérêts : elles disposent ainsi à la fois d’un droit de regard, d’une garantie et d’une police d’assurance vis-à-vis des décisions des pouvoirs publics. Les accords de commerce et d’investissement ont ainsi conféré aux entreprises multinationales des droits exorbitants en leur donnant accès à un système de justice parallèle qui leur permet de protéger leurs intérêts au détriment du droit à réguler des pouvoirs publics, de la protection des droits humains et de la planète.

Cette pratique, loin d’être isolée, doit cesser. Dans une lettre ouverte publiée en juin 2020, plus de 630 organisations de 90 pays différents ont alerté les gouvernements des États-membres européens en les appelant à prendre d’urgence des mesures pour mettre fin à cette menace :
• suspendre tous les litiges en cours ;
• ne pas gaspiller d’argent public dans l’indemnisation des entreprises privés ;
• cesser de négocier, signer et/ou ratifier tout nouvel accord prévoyant de tels mécanismes ;
• mettre fin aux accords existants qui prévoient ces dispositifs de justice parallèle.

Par cette lettre ouverte, nous appelons le gouvernement français à :
• intervenir, en tant qu’actionnaire majoritaire d’ADP, pour qu’ADP renonce à ses poursuites, et ainsi que la France ne soit plus engagée dans des poursuites envers le Chili ;
• faire pression sur Vinci pour que la multinationale en fasse autant ;
• prendre clairement position contre l’usage de cette justice d’exception par les multinationales et
investisseurs étrangers.

Nous vous prions d’agréer, Mesdames et Messieurs les ministres, l’expression de nos sentiments distingués.

Organisations signataires :
ActionAid France
Aitec
alofa tuvalu
Amis de la Terre
Attac France
CADTM France
CCFD-Terre Solidaire
CGT
CRID (Centre de Recherche et d’Information pour le Développement) Comité Pauvreté et Politique
Collectif Changer de cap
Collectif Stop CETA-Mercosur
Fondation Danielle Mitterrand
France Nature Environnement
Les Amis du Monde Diplomatique
Notre Affaire à Tous
Réseau Roosevelt
Sherpa
Unis Pour Le Climat