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TTIP/TAFTA : point de situation des négociations après la 11e session de négociations

jeudi 29 octobre 2015

L’accord transatlantique a marqué une nouvelle étape à Miami la semaine passée.
En effet le 11e cycle de négociations qui s’y est tenu du 19 au 23 octobre a enregistré un certain nombre d’avancées, et permis de clarifier le calendrier de l’année à venir, en tout cas tel que les négociateurs l’envisagent.
Et si les discussions piétinent dans nombre de domaines, quelques avancées notables aggravent le cas du TTIP...

Cette note de l’AItec est également disponible en format PDF :

Octobre 2015 [1]

A la Direction générale du Commerce, département de la Commission en charge des négociations, l’humeur avait toutes les raisons d’être morose à la veille du départ en Floride.
La proposition de réforme de l’arbitrage d’investissement présentée le 16 septembre par la Commissaire Malmström, un « système de cour d’investissement », n’a pas vraiment convaincu. Société civile comme lobbies industriels l’ont accueillie avec froideur, avec des arguments différents. Pour la première, l’ICS se borne à rhabiller d’atours séduisants un mécanisme qui demeure à l’identique, soit un dispositif inéquitable, partial et surtout exclusivement construit pour bénéficier aux entreprises. La Chambre américaine de commerce, sans doute le premier lobby industriel au monde, qui jouit d’une influence colossale à Washington, a quant à elle sèchement critiqué la proposition européenne, et prévenu qu’elle n’était pas acceptable dans la perspective sérieuse d’aboutir à un traité satisfaisant. [2]

Une semaine avant le 11e round, la fuite [3]d’un compte-rendu (organisé le 24 juillet dernier) de la 10e session de négociations fait par la DG Commerce aux représentants des États membres démontrait en outre la difficulté des pourparlers. Plusieurs gouvernements (la France, l’Italie ou la Pologne par exemple) se lassent du peu d’entrain de Washington à discuter des sujets sensibles et à faire des propositions adéquates à leurs yeux. C’est le sens de l’intervention du Secrétaire d’État M. Fekl [4] dans son interview au journal Sud Ouest le 27 septembre dernier. En substance l’administration américaine refuse de discuter un certain nombre des demandes clés de l’UE : la création d’un chapitre Énergie (souhaité par beaucoup de pays d’Europe de l’Est), la négociation sur la réglementation des services financiers ou la discussion sur les Indications géographiques protégées.

Et la DG Commerce s’irrite de la succession des fuites de ses documents sur le web ! Le 31 juillet, C. Malmström annonçait ainsi le resserrement des modalités d’information des États membres. En somme, des comptes-rendus généraux destinés au plus grand nombre, et les détails (notes d’étapes, documents de négociation, rapports détaillés...) à une infime minorité (ministres et leurs équipes et eurodéputés, en fonction de leur champ de compétences).

Pour Bruxelles, Miami s’est donc ouvert dans un contexte de pression, d’autant plus que les États-Unis pouvaient quant à eux se féliciter d’en avoir terminé avec leur plus gros morceau : le traité transpacifique, conclu à Atlanta le 5 octobre [5]. L’échec du TTIP, ou l’ensablement des négociations, déporteraient donc sans doute encore un peu plus le centre de gravité du commerce mondial vers l’Asie.

Alors que s’est-il passé en Floride et où en est le TTIP au terme de cette 11e session ? [6]

L’échange de nouvelles offres tarifaires

C’est un développement important car l’UE renchérit le taux global d’ouverture de ses marchés à 97 %. On se souvient en effet qu’en février 2014, les deux parties avaient échangé leurs offres respectives peu après le lancement des négociations, et que l’UE avait renvoyé celle de Washington, l’estimant très insuffisante : l’UE proposait déjà la libéralisation complète de 96% de ses lignes tarifaires, et de niveaux de protection différenciés (quotas annuels ou protection totale) pour 4% de produits dits « sensibles ». En échange l’offre américaine plafonnait à 80% et envisageait uniquement des libéralisations progressives à partir de l’entrée en vigueur de l’accord.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Les produits agricoles et industriels sont classés par les services douaniers en « lignes tarifaires ». Chacune se voit affecter un tarif douanier, autrement dit le taux de taxation qui lui sera appliqué.
Dans le volet « accès au marché » d’un accord de libre-échange, la négociation consiste d’abord à s’engager sur un pourcentage global de ces lignes tarifaires dont le tarif douanier sera supprimé, immédiatement ou graduellement. Ce premier chiffre est symbolique du niveau de libéralisation proposé/recherché.
Ensuite vient la discussion ligne par ligne : quelles sont celles inclues par chaque partie dans son offre, quelles sont celles qu’elles souhaitent exclure de cette libéralisation ? C’est une phase critique de la discussion.
Deux difficultés en plus :
la libéralisation (des 97%) n’est pas nécessairement immédiate. Elle peut faire l’objet d’un calendrier progressif, ligne par ligne.
Le contenu du paquet de produits sensibles n’est pas nécessairement épargné par la libéralisation non plus. Il peut faire l’objet d’engagements de démantèlement tarifaire à plus long terme, ou encore d’engagements à accepter une quantité annuelle maximale du produit concerné sans aucun droit de douane, ce qu’on appelle les « quotas ».

Miami ouvre donc une nouvelle étape. Les deux parties sont parvenues à s’accorder sur des offres réciproques similaires : 97% de lignes tarifaires libéralisées et 3% protégées.
Dans le cas du TAFTA, la catégorie des produits « sensibles » devrait accueillir beaucoup de produits agricoles (viandes de bœuf, porc, volaille, lait par exemple pour l’Europe), mais pas exclusivement. Aux États-Unis par exemple, la catégorie des produits sensibles inclura certains textiles et certaines lignes relatives à l’automobile.

Beaucoup de questions restent néanmoins ouvertes :
ce sont des chiffres globaux : le contenu de chaque bloc doit être scrupuleusement défini, et donnera lieu à des discussions difficiles.
Les 97% se verront-ils immédiatement libéralisés à l’entrée en vigueur de l’accord ? Quelle proportion en sera au contraire progressive, et selon quel calendrier ?
Quel sera le niveau de protection des « 3% » ? total ? Partiel ? Les États-Unis disent déjà espérer que l’UE proposera des calendriers de libéralisation graduelle pour une partie de ces produits « sensibles ».
Ce sont les points durs de la négociation future, qui ne seront vraisemblablement abordés qu’en dernière ligne droite, dans une phase de négociation plus directe.

Les services

Les offres de libéralisation dans le secteur des services avaient déjà été échangées lors du cycle précédent, en juillet, à Bruxelles [7]. Les formulations précises contenues dans l’offre européenne sont plus qu’inquiétantes [8], et montrent que l’engagement général de C. Malmström [9] à protéger les services publics (ainsi qu’exigé par le Parlement européen dans sa résolution de juillet 2015 [10]) ne peut être tenu sur la base du texte actuel. En effet l’exclusion d’un service public ne peut être garantie que s’il relève de l’exercice des fonctions régaliennes de l’État – sécurité intérieure ou extérieure, justice, gestion de la fiscalité - , qu’il est fourni sur une base non-commerciale et hors compétition d’acteurs privés sur le même secteur. Les discussions sur leur contenu se sont néanmoins poursuivies à Miami.

Statu quo sur les marchés publics (ou presque)

En dépit du caractère central du sujet pour nombre d’États membres, les marchés publics n’ont toujours pas fait l’objet d’un échange d’offres précises. D’après les deux négociateurs en chef, ce sera le cas lors du prochain cycle, en février 2016. Pour autant, l’UE a lâché une annonce fracassante en Floride : elle va désormais concentrer sa demande sur trois secteurs clés pour ses entreprises, l’énergie, les transports et les services environnementaux, et elle renonce à exiger le démantèlement des dispositions préférentielles dont bénéficient les PME américaines. L’appellation « services environnementaux » est particulièrement trompeuse : loin de référer à la fourniture de « services » susceptibles d’améliorer la qualité de l’environnement, elle recouvre également l’exploration et l’extraction minière et énergétique, la vente de composants et services nucléaires, les méga-projets hydrauliques, éoliens, solaires...

On peut sans beaucoup se tromper y lire l’empreinte des grands lobbies industriels européens et de leurs membres, les entreprises françaises (Alstom, Bouygues, EDF, Engie, Technip, Total, Veolia, Vinci...) n’étant sûrement pas en reste à la perspective de voir s’ouvrir les marchés publics américains dans ces secteurs. Bruxelles chercherait-elle à plaire à un gouvernement français publiquement critique quant au cours des négociations ?...

Aspects réglementaires (sectoriels et horizontaux)

L’Union européenne a fait une proposition textuelle pour le chapitre « Coopération réglementaire » [11] qui concerne les aspects transversaux du volet relatif à l’harmonisation ou convergence des normes. Mais d’après le négociateur en chef, les États-Unis n’y ont pas formellement répondu ; la discussion ne porte donc pas encore sur la préparation d’un texte « consolidé » [12].
Les discussions progressent en revanche dans un certain nombre de secteurs spécifiques : elles avancent notamment dans les domaines du textile, des technologies de l’information et de la communication, de l’automobile, des médicaments et de l’ingénierie. Une rencontre entre régulateurs européens et leurs homologues américains s’est d’ailleurs déroulée en Floride.

Développement durable

Bruxelles a en outre profité de Miami pour faire une proposition formelle de chapitre « Développement durable » [13]. Celle-ci est présentée par l’Union européenne, et incidemment par la France, comme une pièce maîtresse de leur stratégie globale de réforme de la protection de l’investissement. En effet un chapitre « Développement durable » doté de dispositions juridiques contraignantes serait susceptible d’introduire un début d’équilibre face aux droits exceptionnels octroyés aux entreprises dans d’autres chapitres du traité.

Espoir finalement battu en brèche à la lecture attentive du texte de la proposition, fuitée juste après le cycle de négociation [14] : s’il se conclut par l’annonce de travaux futurs en vue d’intégrer des dispositions de règlement des conflits, sans aucune perspective précise, il se compose surtout d’une liste de souhaits et autres promesses de se conformer au droit international du travail et de l’environnement, d’améliorer les comportements respectifs et de mieux associer la société civile aux choix et au suivi de leur mise en œuvre. Pas le moindre engagement n’y revêt de caractère obligatoire. Le texte omet par ailleurs complètement d’assurer la sanctuarisation des politiques publiques dédiées à la santé publique, à la protection de l’environnement ou des travailleurs. Aucune mention écrite n’empêchera une entreprise d’invoquer le dispositif de règlement des différends Investisseur-État pour attaquer un gouvernement qui prend des mesures audacieuses pour, par exemple, lutter contre les dérèglements climatiques.

De nombreux secteurs restent matières à désaccord

Un certain nombre de questions sont en outre au point mort tant les perspectives diffèrent toujours entre Bruxelles et Washington.

Dans le secteur de l’énergie, les discussions progressent peu. Celles-ci sont pour l’heure traitées sous le chapeau générique des règles sur le commerce (réglementation des subventions publiques et des aides d’État, concurrence versus monopoles...) faute de volonté américaine, à ce jour, de leur consacrer un chapitre à part entière. C’est pourtant une demande phare d’un certain nombre de pays est-européens (Pologne, Lituanie, République Tchèque notamment). Rappelons les objectifs de cet hypothétique chapitre « Énergie » tel que l’UE le souhaiterait : la libéralisation des exportations de pétrole brut et de gaz depuis les USA vers l’Europe, mais également – on le dit moins – la réglementation de l’usage des subventions publiques dans la production et la commercialisation de l’énergie et d’autre part des entreprises publiques du secteur.
Si l’on ne peut que souhaiter la fin des subventions publiques aux énergies fossiles, les énergies renouvelables pourraient prétendre à soutien financier des États et des collectivités locales. Le traité transatlantique l’empêchera-t-il définitivement ? L’imposition d’un fonctionnement concurrentiel à des opérateurs publics du secteur pourrait en outre remettre en question la construction d’un(de) service(s) public(s) de l’énergie qui soit accessible(s) et démocratiquement supervisé(s).

Concernant les services financiers, l’UE souhaite intégrer au TTIP le résultat de discussions relatives à la coopération dans le domaine de la régulation des services financiers qui se tiennent en parallèle, en bilatéral ou dans des espaces multilatéraux. Bruxelles a du reste soumis une offre de libéralisation de ses services financiers dans le cadre des négociations sur l’accès aux marchés de service, qui comporte des formulations vagues et limitées quant au maintien d’un espace politique pour réglementer les flux financiers.

La discussion sur les Indications géographiques protégées (IGP) n’enregistre aucune avancée. Fin de non-recevoir, donc, pour l’heure, à la « diplomatie des terroirs » de MM. Fekl et Le Foll.

Les résultats peuvent sembler minces. Il n’en reste pas moins que l’échange d’offres tarifaires satisfaisantes pour les deux parties marque une étape importante de la négociation.
Si le TAFTA n’est pas qu’un accord commercial, il le reste tout de même, et l’insistance américaine à entrer sur un nombre de marchés agricoles aujourd’hui protégés en Europe en témoigne bien. Inversement Bruxelles paraît prêt à monnayer l’accès aux marchés publics américains à n’importe quel prix, fût-ce ses campagnes et ses paysans. Des observateurs présents à Miami expliquaient en effet aux journalistes de insidetrade.com que la composition des « 3% » européens (supra) serait sans doute définie en dernière ligne droite, quand Bruxelles pourrait apprécier l’offre réelle de Washington dans le domaine des marchés publics.

Et cela pourrait arriver vite. En effet, à l’issue du cycle de Miami, les négociateurs en chef ont réaffirmé le même objectif, déjà rappelé par C. Malmström et M. Froman fin septembre suite à leur rencontre : conclure les négociations avant l’élection présidentielle américaine (début novembre 2016).
Pour rendre cet objectif accessible, ils prévoient des discussions techniques intenses dans les mois qui viennent, avant une nouvelle session formelle annoncée pour février 2016 à Bruxelles.