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Traité sur la Charte de l’énergie : la France poursuivie pour la première fois

mercredi 21 septembre 2022

Depuis le 2 septembre, la France est officiellement poursuivie au titre du Traité sur la charte de l’énergie (TCE). C’est une première. L’investisseur allemand Encavis AG, et trois de ses filiales, dont deux françaises, ont en effet engagé une procédure d’arbitrage contre la France, suite à la révision à la baisse des tarifs d’achat de l’électricité photovoltaïque, décidée par le gouvernement français en 2020. Sans réaction à ce sujet, le gouvernement français ne s’est toujours pas prononcé sur l’avenir du TCE, traité nocif tant pour la transition énergétique que pour la capacité des pouvoirs publics de réguler finement le secteur. Le collectif Stop CETA-MERCOSUR rappelle son exigence, soutenu par un millions de signataires en Europe : Sortons du TCE, maintenant !

La France avait déjà été menacée (1) mais n’avait jamais été poursuivie au titre du Traité sur la charte de l’énergie (TCE), un accord rédigé et ratifié à la fin du siècle dernier, pour protéger les investissements des énergéticiens européens dans l’ancien bloc soviétique. C’est désormais le cas. Comme nous l’avons mentionné dès le 6 septembre 2022, l’entreprise allemande Encavis, producteur d’énergie renouvelable (EnR), et trois de ses filiales (Capital Stage Solar IPP, Société centrale photovoltaïque d’Avon-les-Roches, Le Communal Est Ouest) (2) ont engagé une procédure d’arbitrage contre la France, procédure qui a été enregistrée le 2 septembre par le CIRDI (3).

A ce jour, les détails justifiant l’ouverture de cette procédure d’arbitrage international ne sont pas encore connus. Encavis est une entreprise allemande cotée à la bourse de Francfort qui exploite des parcs solaires et éoliens dans 11 pays, faisant d’elle l’un des plus grands producteurs d’électricité indépendants d’Europe. Dans son rapport annuel (4), l’entreprise, qui compte plusieurs dizaines d’installations en France, indiquait que deux de ses filiales solaires françaises, d’une capacité totale d’environ 50 MW, avaient été affectées par la révision à la baisse des tarifs d’achat de l’électricité photovoltaïque décidée par le gouvernement français en 2020, et entrée vigueur fin 2021 (5). Elle indiquait qu’elle « se réservait le droit - comme cela s’est déjà produit en Italie - de poursuivre une procédure d’arbitrage international pour faire valoir ses droits » (6).

La France rejoint le club des pays européens (Espagne, Italie, etc) poursuivis pour avoir révisé à la baisse ses tarifs d’achat de l’électricité photovoltaïque. Institués en 2000, ces tarifs préférentiels – allant jusqu’au très attractif prix de 550 € le mégawattheure – ont été jugés trop favorables. Le gouvernement et le législateur ont décidé de « mettre un terme à la rémunération excessive » de certains producteurs, en revenant à des prix de rachat assurant une « rémunération raisonnable du capital ». Selon la Commission de régulation de l’énergie, un peu plus de 1000 parcs photovoltaïques étaient concernés. Dès la mesure prise, de nombreux cabinets d’avocats d’affaires ont démarché des investisseurs étrangers pour les inviter à poursuivre la France au titre du Traité sur la charte de l’énergie (7).

Connu pour ralentir, renchérir ou bloquer les politiques de transition énergétique et protéger les investissements dans les énergies fossiles (8), comme l’Italie vient en faire l’amère expérience (9), le TCE protège également les investisseurs dans les énergies renouvelables. Une majorité des procédures d’arbitrage au titre du TCE les concerne, avec près de 60% des cas. Mais loin de favoriser les investissements dans les énergies renouvelables et ainsi lutter contre le réchauffement climatique, le TCE rend incertain et bien plus difficile la capacité des gouvernements à adapter avec précision les politiques énergétiques, faisant primer l’intérêt des investisseurs sur les enjeux climatiques ou de bonne gestion de l’argent public (10).

Par ailleurs, le TCE offre un cadre extrêmement favorable aux investisseurs privés pour faire valoir leurs droits, puisque les dispositions du TCE ne prévoient aucunement de juger les mesures réglementaires ou législatives mises en cause ; seule la protection des investisseurs est prise en compte. Il est d’ailleurs notable qu’une bonne part de ces investisseurs poursuivent les États au titre du TCE sans ne jamais avoir recours à la justice administrative dans les États concernés, alors que celle-ci, notamment dans les États européens, leur garantit le respect de leur bon droit.

Plus de quinze jours après la notification de la procédure d’arbitrage international envers la France, on ne compte toujours aucune réaction publique et officielle du gouvernement français. Le processus de modernisation de ce traité prévoit pourtant d’étendre la protection des investisseurs à de nouveaux investissements dans l’énergie (captage et stockage du carbone, biomasse, hydrogène, combustibles synthétiques, etc.), et donc, les risques de litiges. Alors que ces nouvelles dispositions pourraient être entérinées prochainement par le Conseil de l’UE, puis lors d’une conférence des États-membres du TCE le 22 novembre prochain, le gouvernement français va-t-il enfin préciser publiquement quelle est sa ligne à ce sujet ?

Pour ce qui concerne le collectif Stop CETA-Mercosur, nous renouvelons notre prise de position claire et continue à ce sujet : alors que le GIEC a récemment alerté du rôle nocif de ces dispositifs de protection des investissements, il est urgent que les États-membres de l’UE sortent du TCE, plutôt que de tenter de le rénover avec des rustines inefficaces qui ne règleront pas le problème (11). Au printemps, plus d’un millions de personnes en Europe avaient signé une pétition en ce sens (12), pour que le TCE ne puisse plus décourager, ralentir, renchérir ou bloquer les politiques énergétiques. L’Espagne, les Pays-Bas ou la Pologne envisagent de se retirer du TCE. Alors que la France vient d’être attaquée pour la première fois en vertu de ce traité, va-t-elle enfin prendre la mesure du danger et endosser cette exigence à l’échelle européenne ?

Notes pour les rédactions
(1) En 2017, la loi Hulot sur les hydrocarbures avait été édulcorée suite à des pressions du pétrolier Vermilion qui menaçait d’utiliser le TCE contre la France ; la France est par ailleurs actuellement poursuivie par des investisseurs russes au titre d’un traité bilatéral France-Russie , réclamant à la France 4 milliards euros à propos du projet de Montagne d’Or en Guyane
(2) Les filiales françaises d’Encavis sont la Société centrale photovoltaïque d’Avon-les-Roches et Le Communal Est Ouest. La première exploite une centrale photovoltaïque d’une capacité de production de 10,78 MWc, localisée au lieudit La Roche Berlan à Avon-les-Roches (Indre-et-Loire) selon l’arrêté du 11 janvier 2010 et la seconde exploite une installation photovoltaïque, d’une capacité de production de 5,029 MWc, localisée au lieudit Montagne à Fargues-sur-Ourbise (Lot-et-Garonne) selon l’arrêté du 23 août 2011
(3) Lien de l’enregistrement des poursuites devant le CIRDI.
(4) Rapport annuel de l’entreprise Encavis.
(5) En 2011, la France avait déjà baissé les tarifs de rachat d’électricité produite par les énergies renouvelables, mais sans effet rétroactif. L’article 225 de la nouvelle loi est lui rétroactif pour les unités de production d’énergie solaire supérieures à 250 kW et qui existaient déjà avant les changements de 2011, ayant été réduits à une « rémunération raisonnable du capital ».
(6) Encavis et certaines de ses filiales ont également engagé une procédure d’arbitrage au titre du TCE contre l’Italie (voir Encavis et al. c. Italie), qui est en cours. https://www.iareporter.com/arbitration-cases/encavis-et-al-v-italy/
(7) Voir ces articles spécialisés en anglais ici ou ici
(8) Note d’analyse du Traité sur la charte de l’énergie par l’Aitec et Attac France
(9) Condamnation de l’Italie à verser 190 millions d’euros à la société pétrolière Rockopper à la suite de l’interdiction d’exploiter un champ pétrolifère dans la mer Adriatique
(10) Le stock d’investissement protégé par le TCE est bien plus important dans les énergies fossiles que dans les énergies renouvelables
(11) L’impossible réforme du Traité sur la charte de l’énergie
(12) Pétition « Sortez du TCE maintenant »

Revue de presse à ce sujet :

  1. German Renewable Energy investors lodge ECT Arbitration against France, IAReporter,
  2. France faces first known ECT claim, GlobalArbitration Review,
  3. Traité sur la Charte de l’énergie : la France poursuivie pour modification des tarifs d’achat photovoltaïques, Actu Environnement,
  4. Traité sur la charte de l’énergie : la France attaquée par un producteur d’énergie solaire, Novethic,
  5. La France poursuivie au nom d’un traité protégeant les entreprises, Reporterre,